Les NFTS servent-ils à quelque chose ?
Colton Orr, Solarpunk Sahara, un NFT mis en vente sur DoinGud pour soutenir des projets open source via Gitcoin
Si 2020 a vu une explosion de la couverture médiatique des NFTs pour des raisons de gros chiffres, le sujet est cependant bien plus intéressant qu’il a pu ainsi en avoir l’air. L’on était alors dans les balbutiements d’une adoption massive qui se concentrait sur une application bien spécifique de la technologie, celle de la mise en place d’un marché débridé pour JPEGs colorés. Les tokens non fongibles n’ont pourtant pas été conçus dans ce but, et leurs potentialités vont heureusement bien au-delà.

Des Bitcoins aux NFTS
Lorsque l’idée en a germé en 2012, il s’agissait alors d’essayer d’associer des informations à des bitcoins pour faire de cette cryptomonnaie un moyen sécurisé d’enregistrement et de transfert de droits de propriété (matérielle comme intellectuelle) ou de produits financiers. Les cryptomonnaies comme le bitcoin sont en effet des tokens fongibles, c’est-à-dire dont les unités, parfaitement équivalentes tout comme le dollar ou l’euro, sont échangeables l’une pour l’autre. Associer à certains de ces tokens des informations uniques rendaient de fait ces tokens uniques, et donc non fongibles.
Ce sont des ressources de jeu vidéo puis des mèmes qui furent ainsi inscrits sur la blockchain de Bitcoin dès 2015, avant le succès, fin 2017 sur celle d’Ethereum, des cryptocollectibles que l’on sait : CryptoKitties et CryptoPunks.
Le tournant écologique des NFTS
C’est sur Ethereum que vivent désormais la majorité des NFTs, bien que les blockchains Solana, Tezos, Flow, WAX, ou encore BNB Chain, hébergent des places de marché qui ne cessent de gagner en popularité. La raison en est pour l’instant les transactions à moindre coût mais aussi, pour les traders et artistes soucieux de l’impact écologique de leur activité, des blockchains jusqu’ici moins gourmandes en énergie qu’Ethereum. Cependant, cette dernière embrassant à la mi-septembre 2022 un nouveau mécanisme de consensus1 jusqu’à 99,95 fois moins gourmand en énergie, l’argument écologique ne sera bientôt plus de mise puisque sa consommation sera dès lors celle d’un usage computationnel domestique.
L’influence de l’Open Source
La furie spéculative qui touche les avatars pixellisés et autres mini vidéos de matchs de basket oblitère néanmoins toujours les véritables innovations que représente la technologie.
Dans le domaine culturel, la désintermédiation de la relation créateur-consommateur permet à la fois une diffusion potentiellement plus massive de l’œuvre et une rémunération potentiellement plus juste de son auteur·e. Il est en effet possible d’ajouter au smart contract (le programme qui automatise la gestion du NFT), outre les informations d’authentification de l’œuvre et des droits afférents, un droit de suite contractuel qui permet le versement de royalties dans le cas de ventes secondaires. Les usages sur le marché mondial des NFTs sont actuellement d’un ratio d’environ 85%/15% pour une vente sur le marché primaire au lieu des 50%/50% du marché de l’art traditionnel (c’est-à-dire celui des galeries), puis de 10% reversés à l’artiste à chaque revente. En musique, les NFTs ouvrent une sortie du paradigme du nombre d’écoutes qui paralyse pour l’instant les revenus de bien des musicien·nes. Dans le domaine du livre, les applications sont encore extrêmement rares, pour l’instant réduites à des éditions signées numériquement, mais prometteuses, comme dans le cas du livre à paraître du fondateur d’Ethereum, Vitalik Buterin, dont les profits seront automatiquement reversés à des biens publics open source.
Dans tous les cas, il est possible d’intégrer au smart contract un partage des revenus s’il y a par exemple plusieurs auteur·e·s à une œuvre, ou, justement, une donation à un projet de charité comme notamment avec la plateforme de NFTs DoinGud. Et, si les auteur·es sont correctement rémunéré·e·s, quel besoin désormais de brider l’accès à leurs œuvres ? Les NFTs en prouvent la propriété privée tandis que les œuvres peuvent être de plus en plus publiques.
Documents d’identité, accès à des programmes éducatifs, traçabilité, économie circulaire, levées de fonds charitables… Les usages des NFTs sont multiples et fascinants. La Région Nouvelle-Aquitaine donne carte blanche à Aude Launay pour explorer leurs applications dans le domaine de la culture : des articles et interviews sont à paraître tout au long de la saison 2022-23 sur culture-nouvelle-aquitaine.fr, dans la page thématique « numérique culturel ». Une conférence aura lieu dans le cadre du prochain Forum Entreprendre dans la Culture, à Bordeaux, en novembre 2022.
Chercheuse indépendante, Aude Launay est philosophe de formation. Depuis 2016, ses recherches se concentrent sur les prises de décisions décentralisées et les processus démocratiques prototypés sur des blockchains. Elle prépare actuellement un ouvrage à ce sujet.
launayau.de
Crédits photos :Solarpunk Sahara, Colton Orr
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