Entre enjeux d’observation de l’éducation artistique et culturelle et expérience sensible des parties prenantes : Quelle mise en pratique de l’EAC ?

Une rencontre professionnelle pour creuser les enjeux d’observation et interroger les pratiques de l’éducation artistique et culturelle (EAC)

Mercredi 20 octobre 2021, chargé·e·s de médiation, enseignant·e·s et autres professionnel·le·s de la culture se sont rassemblés au Méta QG (nouvelle appellation du centre dramatique national) à Poitiers autour du sujet : « Entre enjeux d’observation de l’éducation artistique et culturelle et expérience sensible des parties prenantes : quelle mise en pratique de l’EAC ? »

Cette rencontre émane du comité technique du dispositif régional d’observation de l’Agence dont font partie la Direction régionale des Affaires culturelles Nouvelle-Aquitaine (DRAC), la Région Nouvelle-Aquitaine et la région académique Nouvelle-Aquitaine.

Le comité s’applique à répondre au dixième point de la charte pour l’éducation artistique et culturelle : « Le développement de l’éducation artistique et culturelle doit faire l’objet de travaux de recherche et d’évaluation permettant de cerner l’impact des actions, d’en améliorer la qualité et d’encourager les démarches innovantes. »

Cette rencontre fut l’un des temps forts du mois d’octobre organisés par le Méta et fait suite à des échanges avec Pascale Daniel-Lacombe, directrice du Méta, qui porte la volonté de travailler sur l’adolescence.

Les intervenant·e·s

  • Sylvie Octobre et Anne Jonchery, chargées d’études au Département des études de la prospective et des statistiques et de la documentation (DEPS-Doc), ministère de la Culture
  • Pascale Daniel-Lacombe, directrice, Le Méta, centre dramatique national de Poitiers
  • Karin Serres, autrice
  • Estelle Derquenne, coordinatrice générale, Scènes d’enfance-ASSITEJ-France (association professionnelle du spectacle vivant jeune public avec plus de 200 adhérents dont une vingtaine en Nouvelle-Aquitaine)
  • Olivier Bikialo, enseignant de lettres au collège Jean Rostand de Neuville de Poitou et professeur en service éducatif au Méta.

La rencontre était animée par Mathilde Barron et Laura Guérin de L’A. Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine.

Les participant·e·s

Un vote à main levée a ainsi permis de définir la répartition des participant·e·s :

  • 9 enseignant·e·s ou plus globalement du milieu éducatif
  • 9 médiateurs ou médiatrices culturel·le.s
  • 15 artistes ou représentant une équipe artistique
  • 15 participant·e·s ne travaillant pas ou pas uniquement dans le spectacle vivant
  • 5 participant·e·s ont pris plus d’une heure et demi pour venir à Poitiers

Des attentes particulières selon le profil des participant·e·s

La rencontre commence par l’expression des motivations de la venue des participant·e·s.

  • Une marionnettiste et plasticienne explique que l’EAC occupe le tiers de sa pratique professionnelle. L’EAC s’est présentée à elle, elle n’a pas délibérément choisi de l’inclure dans ses pratiques. Elle se questionne : Comment on fait ? Pourquoi ? Avec qui ?
  • Une enseignante à l’Université de Poitiers souhaite réaffirmer les fondements de l’EAC et sa place de vice-présidente du réseau Art + Université + Culture (réseau national de l’action culturelle dans l’enseignement supérieur et la recherche).
  • La Délégation académique à l’action culturelle (DAAC) explique que l’EAC est au cœur de leurs missions et s’attend à une mise en relation avec les acteurs du milieu culturel. Elle souhaite faire dialoguer les artistes et les enseignants sur la manière de monter des projets au bénéfice des élèves. La DRAC exprime les mêmes souhaits.

L’EAC au prisme des enquêtes

Sylvie Octobre et Anne Jonchery, toutes deux chargées d’études au Département des études de la prospective et des statistiques et de la documentation (DEPS-Doc) se sont particulièrement exprimées sur les enjeux de la définition de l’EAC. « L’objet EAC » est en effet complexe. Sa définition varie notamment selon les organisations et les territoires. Selon le point de vue d’où l’on se place, les enjeux ne sont pas les mêmes.

Sylvie et Anne rappellent les 3 piliers de l’EAC : la fréquentation des œuvres et la rencontre avec les artistes, la pratique artistique, l’acquisition de connaissances.

Dans les échanges, la notion de temporalité revient souvent. On parle d’« EAC » mais ne devrait-on pas la nommer ainsi : « Parcours EAC » ? En ajoutant le mot « parcours » on inclut une question de temporalité, une donnée longitudinale.

Pour mener une étude, le ministère de la Culture crée des comités de pilotage.
Pour ces enquêtes, ceux-ci étaient constitués du ministère de l’Éducation Nationale, du ministère de la Culture et d’associations de parents d’élèves.

Chacun définit alors son périmètre esthético-culturel. Pour exemple, « l’histoire de l’astronomie » rentre dans l’EAC mais pas l’observation des planètes. Est-ce que la culture scientifique et technique rentre dans l’EAC ? Quid des médias et de l’éducation aux médias ? Les périmètres esthético-culturels sont encore flous.

On peut également juger important de les emmener voir des pièces de Molière mais il ne faut pas oublier de se former aux cultures juvéniles. Car selon Sylvie Octobre, « on ne peut pas faire d’EAC sans savoir ce que les jeunes ont dans la tête, sinon on fait un certain nombre d’erreurs, on tombe à côté. »

L’un des grands objectifs de l’EAC est rappelé : « former le public de demain mais aussi former le public d’aujourd’hui. » (Sylvie Octobre). Il va de pair avec cette promesse présidentielle : « 100 % des enfants scolarisés devraient avoir bénéficié d’une action ou d’un projet EAC au cours de l’année ».
Une enquête est alors ainsi demandée afin de couvrir la scolarité de la maternelle au lycée. Artistes, élèves et enseignant·e·s sont au cœur de l’EAC et les enfants plus particulièrement au cœur de la recherche. Mais en pratique il est difficile de récolter toutes les données. Les chef·fe·s d’établissements éprouvent parfois des difficultés à remplir les enquêtes. Oubli, pas d’EAC au sein de l’établissement ou difficulté à cerner de quoi il s’agit ou manque de temps ? Il est difficile d’en connaître la raison.

L’un des objectifs de ces enquêtes est de savoir combien pèse l’EAC institutionnelle par rapport à toute autre forme de socialisation culturelle. Le capital culturel n’est pas égal pour toutes et tous. L’une des hypothèses est que l’EAC permettrait de contrebalancer les inégalités.

Malheureusement les dispositifs d’enquêtes ont été interrompus à cause des effets de la crise sanitaire (distanciel, absences, etc.).

Les artistes et l’EAC pendant la crise sanitaire

Du côté des artistes, malgré la crise sanitaire, certain·e·s ont pu se rendre dans les écoles. Estelle Derquenne, coordinatrice de Scène d’enfance, Association internationale du théâtre pour l’enfance et la jeunesse (ASSITEJ) s’exprime sur les actions réalisées en 2020 et 2021.
L’association a organisé les « Mardis en chantier » afin de réunir les professionnel·le·s sur des questions très pratiques. Des visios ont accueilli jusqu’à 80 participant·e·s. Un bilan a eu lieu en avril 2021 pour parler de ce qui avait été fait dans les écoles et comment les artistes avaient revu leurs formes artistiques.
Tous les enfants ont pu rencontrer des artistes pendant le deuxième confinement.
La question est aujourd’hui de savoir comment maintenir ce désir, comment retrouver les grandes et petites formes.

Les enseignant·e·s et l’EAC

Olivier Bikialo se questionne sur le rapport que nous avons aux cultures, à la culture. Il met en avant le fait que ce sont le plus souvent les professeur·e·s de lettres ou d’arts plastiques qui sont à l’initiative des projets d’EAC. La culture scientifique est par exemple moins visible.
Dans le cadre de sa mission au Méta, trois actions principales d’EAC se dégagent :

  • l’animation de bords plateau ;
  • la proposition d’une plus grande proximité entre comédiens et enseignant·e·s ;
  • et l’apport de visibilité aux différentes formes artistiques.

L’artiste et l’EAC, une complémentarité, et non une substitution à son métier d’artiste

Karin Serres s’étonne d’entendre l’objectif formulé tel quel : « former les publics d’aujourd’hui ou de demain ». Elle y voit une formation de « consommateurs ». Or, pour elle, « le terrain commun qu’on peut créer c’est un terrain commun de développement de sensibilité de partage d’histoires communes et de partage de moyens communs, on est dans de l’humanisme. ».
Elle met également en avant le fait de pouvoir continuer en majorité le métier d’artiste. L’EAC ne doit pas le supplanter. Elle n’intervient par ailleurs jamais sans que ce soit lié à un projet artistique en cours. À ceci, Pascale Daniel-Lacombe ajoute que, dans le cadre de son rassemblement d’artistes, elle s’engage à faire attention que chacun·e porte une attention pour la jeunesse et le travail dans les milieux scolaires. Il faut que cela soit une vocation et non pas simplement une opportunité de dresser un projet.


La notion de partage est par ailleurs importante. Les enfants sont dans de multiples parcours de vie. La vie artistique est l’un d’entre eux. Comment l’artiste doit alors s’adresser à eux en sachant cela ? Qu’est-ce qu’on lui raconte et comment ? Comment on forme des sensibilités ?Pour Anthony Thibault, metteur en scène, l’EAC développe l’esprit critique. Quelle est la place des jeunes dans l’EAC ? Il ne faut pas toujours les bousculer mais aussi accepter d’aller vers eux et parfois aussi d’échouer.

Une charte pour les bonnes pratiques de l’EAC

Studio Monstre, compagnie théâtrale fondée à Poitiers en 2015 par Mathilde Souchaud et Théophile Sclavis a rédigé une charte des bonnes pratiques de l’EAC. Celle-ci comporte 4 volets :un volet pour la compagnie ;un volet pour le théâtre ;un volet pour l’établissement ;un volet pour les partenaires institutionnels.Ils souhaitent qu’elle soit plus collaborative, que chaque acteur et actrice de l’EAC puisse se réunir autour d’une table et ouvrir le dialogue. Les interlocuteurs de ces 4 volets n’ont en effet pas tous les mêmes objectifs, contraintes et enjeux.

Des problématiques différentes pour d’autres publics

La dimension interculturelle est évoquée. Que peuvent faire les services culturels des universités avec les étudiant·e·s internationaux·les qui n’ont pas eu la même éducation que les enfants français ?

Il est aussi question de la création d’espace de rencontre entre équipes éducatives et compagnies artistiques. Pour une compagnie, il est difficile de repérer et d’aller vers les référent·e·s culture.

Une participante travaillant aux Ceméa appuie sur le fait que depuis les années 40 rien n’a évolué sur le plan de l’émancipation de l’individu et de la lutte contre les discriminations. Concernant les publics migrants, les jeunes mineur·e·s isolé·e·s, les publics fragilisés ou les personnes en décrochage scolaire, la pratique artistique et culturelle leur est essentielle. À travers elle en effet, l’association les accompagne sur le travail d’estime d’eux et d’elles-mêmes.

Une déstabilisation salutaire

« Ce que l’artiste apporte d’abord ? Une nécessaire et salutaire déstabilisation. Ce n’est pas l’absence de normes, mais la capacité à produire, travailler, déplacer la normativité qui importe…», voici les propos de Gérard Garouste, rapportés par le philosophe Alain Kerlan, et rapportés par une participante lors de cette journée.Avec l’art on invite à changer le regard sur le monde. L’artiste n’a pas à s’adapter, le public a envie d’être bouleversé, d’être ému, d’être déplacé. L’artiste porte l’exigence artistique et permet cette déstabilisation salutaire.

Le rapport à l’esthétique et au sensible est primordial pour s’attarder sur les choses, prendre le temps. Selon une participante, la conduite esthétique pourrait bien être la troisième étape de la démocratisation culturelle.

’Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance (Elfe)

Finalement, la journée se conclue par la connaissance de l’étude Elfe.
Il s’agit d’une étude d’envergure nationale démarrée en 2011. Elle concerne plus de 18 000 enfants nés en France métropolitaine en 2011. Le but est d’observer des enfants nés à la même période, sur une durée de vingt ans afin de mieux comprendre ce qui influence leur développement et la façon dont ils trouvent leur place dans la société.
Mais là encore l’objet est complexe car les enjeux évoluent rapidement et constamment. Si au départ la question du capital humain était au cœur du projet, aujourd’hui la notion de droits culturels vient la supplanter, avant que d’autres priorités ne prennent sa place…

Interroger les pratiques de l’éducation artistique et culturelle est à la fois une affaire au long court, complexe, mouvante et bien sûr essentielle pour agir au présent et penser le lendemain.

Ressources

Pour aller plus loin

Créer avec le jeune public, La participation dans les projets artistiques et culturels, L’A. Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine, décembre 2018

Illustrations réalisées par Idéogramme.net

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